84.
Les taxis Vétérans émergèrent en file indienne d’un entrepôt à l’abandon du centre de Manhattan.
Les véhicules se fondirent dans la circulation, puis bifurquèrent sur Division Street avant d’emprunter Catherine Street en direction de l’East River et du FDR Drive.
Un émetteur radio portable, connu au Vietnam sous le nom de « monstre », avait été installé dans chaque taxi. Ces postes brouillaient et désembrouillaient à volonté toutes les transmissions. La police de New York n’avait pas la moindre chance d’intercepter les messages échangés entre les voitures.
Il y avait là six taxis, transportant à leur bord quatorze anciens combattants armés jusqu’aux dents : une section d’assaut comprenant des fusiliers, des mitrailleurs équipés de M 60, un artilleur et son lance-grenades, un opérateur de liaison.
Plus incroyable encore : cette force d’assaut terrestre bénéficiait d’un renfort aérien. Deux hélicoptères Cobra appuieraient les vétérans en cas de nécessité.
David Hudson, qui reconnaissait le terrain dans le taxi de tête, commençait à éprouver un sentiment, pour le moins inattendu, de soulagement. C’était presque terminé.
Il retrouvait certaines des sensations qu’il avait connues au combat au Vietnam, avec une différence, néanmoins.
Notable. Capitale.
Cette fois-ci, ils auraient la possibilité de vaincre.
Ernie « Cow-boy » Tubbs, un inspecteur de police arraché brutalement à son lit pour se joindre à la chasse à l’homme, vit passer l’un des taxis sur Division Street.
Puis deux autres.
II se tourna vers son coéquipier, l’inspecteur Maury Klein, petit bonhomme affublé d’un imperméable noir trop grand pour lui.
— Nom de Dieu ! Les voilà ! s’écria-t-il. Green Band ! Bingo, Maury !
L’inspecteur Klein, dont l’estomac était accro aux Rolaid et au Pepto-Bismol, regarda attentivement par le pare-brise, l’air affligé. Son estomac lui faisait déjà un mal de chien.
— Puuutain, Ernie ! La moitié de ces salopards est censée avoir fait partie des forces spéciales…
Tubbs haussa les épaules et déboîta, amenant leur Dodge banalisée derrière la file de taxis. Il n’y avait qu’une seule voiture entre eux et le véhicule des vétérans qui assurait l’arrière-garde.
— Nous avons repéré Green Band ! beugla-t-il d’une voix rauque dans le micro de sa radio.
Maury Klein s’empara avec difficulté d’un pistolet-mitrailleur À-180 glissé sous son siège. L’arme semblait déplacée dans cette voiture familiale et plutôt bourgeoise. Capable de tirer trente cartouches à la seconde, elle n’était jamais utilisée pour les interventions en ville.
— Fait chier, mec ! Fait chier ! Un jour, dans un bar de la 125e, je me suis colleté à un gars des forces spéciales, un béret vert. Ça m’a suffit, tu peux me croire…
Maury Klein continua de se plaindre. La perspective d’affronter d’anciens membres des forces spéciales lui apparaissait comme l’une des pires épreuves de toute sa vie de policier. Lui aussi était un ancien combattant – classe 53, en Corée.
Sur Henry Street, seuls quelques feux de signalisation fonctionnaient encore. Il n’y avait pratiquement pas de circulation. Une étrange ambiance régnait dans ce quartier gris et embrumé du bas de Manhattan.
— Ils m’ont tout l’air d’aller vers le périph’… L’entrée est quelque part par là, un peu plus bas. Juste à l’angle de Houston Street.
— Nord ou sud ? demanda en braillant Ernie Tubbs, qui jeta un rapide coup d’œil à son coéquipier.
— Je crois qu’il va dans les deux sens. Vers le sud, c’est sûr. On verra quand on y… Là ! C’est là !
Au même moment, Tubbs avisa la bretelle d’accès délabrée aux voies sud du FDR Drive.
Les taxis des vétérans s’en approchaient à grande vitesse. Les véhicules de tête empruntaient déjà les vieilles rampes en pierre et en métal.
Tubbs ralluma sa radio.
— Contact ! Appel à toutes les unités. Ils s’engagent sur le FDR ! Ils prennent la direction du sud ! Terminé !
Brusquement, le dernier taxi de la file vira vers la droite, cherchant à couper la route à la Dodge.
— Salopard !
Tubbs donna un coup de volant sur la gauche. La berline de police banalisée continua à grimper la rampe d’accès maintenant à moitié bloquée par le taxi.
— Putain de merde, Ernie ! Fais gaffe aux murs !
— Salopard d’enculé ! lâcha l’inspecteur, qui venait de réussir à se glisser entre le taxi et le mur, tout en se débattant avec le volant pour ne pas perdre le contrôle de son véhicule.
— Appel à toutes les unités, appel à toutes les unités ! hurla Maury dans la radio. Ils ont bloqué l’accès au FDR ! Terminé !
Dans un crissement de pneus, la Dodge se fraya alors un chemin en force dans le flot dense de la circulation. Les trois voies étroites et tortueuses du périphérique sud grouillaient de voitures. Un camion pila derrière elle. D’énergiques coups de klaxon se firent entendre.
Deux taxis Vétérans se placèrent de part et d’autre de la voiture de Tubbs et Klein. Des canons de M 16 apparurent aux vitres avant et arrière du véhicule qui roulait sur la gauche de la Dodge.
Ernie Tubbs n’arrivait plus à respirer. La circulation l’empêchait de dépasser les quatre-vingt-dix kilomètres à l’heure. Une salve – d’avertissement, lui sembla-t-il – fut tirée.
Les balles rasèrent le toit de la berline, dans un bruit assourdissant.
Un ancien combattant en treillis, le visage enduit de fard noir, cria quelque chose à Tubbs. Sa voix était étouffée par le grondement de la circulation mais l’inspecteur entendit distinctement chacun de ses mots :
— Dégagez à la prochaine sortie ! Foutez-moi le camp de cette route !… Les mains en l’air, sauf le conducteur ! J’ai dit les main : en l’air ! Les mains en l’air !
La prochaine sortie étant toute proche, Tubbs tourna vivement son volant à droite vers la glissière de sécurité. La Dodge fusa à un angle de soixante-dix degrés en direction de la rampe de sortie.
Elle roula sur des plaques d’égout en tressautant violemment et en faisant des étincelles. Elle se souleva sur deux roues, menaçant de se retourner. Après un moment de pure indécision, la voiture de patrouille retomba sur ses quatre roues, rebondit à plusieurs reprises. Elle descendit en brinquebalant jusqu’au bas de la rampe et s’arrêta dans la rue perpendiculaire.
— On les a perdus ! rugit Tubbs dans sa radio. On les a perdus sur le FDR !
— Dieu merci, bordel de merde ! lâcha l’inspecteur Maury Klein.